Soumis par Mark Weegmann, chercheur junior au Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
23 juin 2021

La double peine : Conflit et risques naturels - l'importance de s'attaquer aux risques de catastrophes dans un contexte d'insécurité

Ce blog est également publié sur UCL Institute for Risk and Disaster Reduction.

En janvier 2015, la tempête Huda a apporté de fortes chutes de neige, des pluies torrentielles et des vents violents à travers le Levant. À Gaza et en Cisjordanie, dans les territoires palestiniens occupés, elle a causé la mort de trois enfants et d'un adulte, l'évacuation ou le déplacement de près de 2 000 ménages et des dégâts considérables aux champs, aux serres et au bétail, affectant 9 000 agriculteurs(IFCR, 2015). Cette catastrophe a déclenché l'état d'urgence et un effort de réponse international. Bien que des dommages localisés aient été signalés en Israël, dont l'exposition est similaire, l'ampleur et l'impact n'étaient pas comparables.

This image shows two persons in storm water filled streets
Storm water fills the streets of Shati' Refugee Camp (Beach Camp) in Gaza, where 82,000 refugees are living, Photo by ICRC / il-e-01841, 2010

Catastrophes et conflits

Il existe une confluence malheureuse entre les États en situation de fragilité, de conflit et de violence et les risques accrus de catastrophes naturelles. Le nombre de décès dus aux catastrophes est 40 % plus élevé dans ces contextes(Marktanner, et al., 2015) et ils se classent de manière disproportionnée dans la catégorie des pays "très exposés" aux catastrophes et aux crises(CE, 2021). Cette situation n'est pas surprenante si l'on tient compte de notre compréhension des conditions sociales qui contribuent à transformer un aléa en catastrophe. Il est prouvé que les conflits exaspèrent les vulnérabilités, sapent la résilience et les capacités d'adaptation, augmentent l'exposition par le biais des déplacements et peuvent même accroître les risques d'aléas par la dégradation de l'environnement(Harris, et al., 2013). Le résultat de cette combinaison de conflits et de risques de catastrophes est une concentration et une exaspération de la souffrance humaine.

Lorsque la tempête Huda a atteint les territoires palestiniens, il y avait encore 100 000 personnes déplacées et 18 000 maisons détruites ou gravement endommagées à la suite des combats qui avaient éclaté dans la bande de Gaza l'été précédent(CICR, 2015). Les dégâts subis par les infrastructures d'énergie, d'eau et d'assainissement ont fait qu'une grande partie de la région n'avait que partiellement accès à l'eau courante et à l'électricité pendant une partie de la journée. Lorsqu'une deuxième vague de froid hivernal a frappé en février, les conséquences ont été mortelles. L'utilisation de moyens de chauffage dangereux pour rester au chaud, comme les feux ouverts ou les chauffages électriques, a causé la mort d'un enfant de 16 mois dans le nord de Gaza, d'une mère de 22 ans et de son bébé de 2 mois à Naplouse, et de trois enfants d'une même famille, âgés de 3, 4 et 15 ans, dans des incendies qui se sont déclarés dans des maisons résidentielles et des abris temporaires(UNICEF, 2015).

Lorsque l'on estime que 1,5 milliard de personnes vivent aujourd'hui dans des États fragiles et touchés par des conflits(CE, n.d.) et que 80 % des besoins humanitaires internationaux sont concentrés dans ces régions(Banque mondiale, 2021), la recherche sur les catastrophes et les efforts de réduction des risques de catastrophes (RRC) doivent tenir compte de cette confluence si l'on veut que nos efforts en faveur des objectifs de développement durable (notamment l'ODD 11) soient couronnés de succès. Or, la RRC est notablement absente de ces contextes (1,30 $ consacré à la RRC pour 100 $ consacrés à la réponse(Peters & Budimir, 2016)). Il y a un impératif moral à réduire les souffrances, un avantage opérationnel à diminuer les interventions humanitaires coûteuses, et un avantage pratique à réduire le fardeau humanitaire, à développer des approches et des outils efficaces pour changer cette situation.

Agir à temps : réduire l'impact des catastrophes

Les approches d'action anticipatoire - définies comme " un ensemble d'actions prises pour prévenir ou atténuer les impacts potentiels d'une catastrophe avant un choc ou avant que des impacts aigus ne soient ressentis. Les actions sont menées en prévision de l'impact d'un danger et sur la base d'une prédiction du déroulement de l'événement"(FICR, 2020. p. 351) - peuvent constituer l'un de ces outils. Elle peut être utile parce qu'elle est mise en œuvre par des acteurs humanitaires qui sont déjà opérationnels dans ces contextes, qu'elle cible des vulnérabilités qui se sont avérées exacerbées par le conflit, et que les délais courts de l'intervention permettent une réponse très ciblée qui soulage des besoins spécifiques qui ont une forte probabilité de se produire(Wagner & Jaime, 2020). Pourtant, malgré quelques projets pilotes initiaux, l'action anticipatoire n'est pas encore pleinement fonctionnelle dans les situations de conflit. Des éléments probants dans des contextes non conflictuels démontrent la capacité de l'action anticipatoire à réduire les coûts opérationnels, à améliorer la conception des projets et à réduire les conséquences négatives des catastrophes pour les communautés touchées(Weingärtner & Wilkinson, 2019).

Compte tenu de la faible base de référence pour la RRC - y compris l'action anticipatoire - dans les contextes touchés par un conflit, il est nécessaire d'investir dans la compréhension des interactions uniques et contextuelles entre les risques de catastrophe et de conflit, de la manière dont elles s'articulent et des conséquences qui en découlent. Un élément clé de la mise en œuvre des interventions d'action anticipatoire est de comprendre non seulement ce que sera le temps, mais aussi ce que le temps fera aux communautés à risque(Harrowsmith, et al., 2020). Il s'agit de comprendre comment les aléas, l'exposition et la vulnérabilité affectent les personnes vivant en situation de conflit, et de quelle manière le conflit aggrave les risques de catastrophe. Cela permet de mettre en place les éléments constitutifs d'interventions appropriées.

Par exemple, en Cisjordanie, les maisons situées à proximité du mur de séparation ont connu de fréquentes inondations lors de fortes pluies, le mur empêchant l'écoulement et le drainage de la pluie. Les canalisations qui passent sous le mur sont souvent bouchées, mais il est souvent difficile de les dégager en raison des difficultés d'accès. Grâce à des prévisions de précipitations avancées, le prépositionnement de pompes à eau dans ces localités pourrait empêcher l'accumulation d'eau de pluie et l'inondation des maisons environnantes.

This image shows a woman standing in front of an embankment.
Niger Red Cross implementing early action protocol to successfully reinforce part of the embankment holding back the flooded River Niger, Photo by CRN / Red Cross Red Crescent Climate Centre, 2020

Extension de l'action anticipatoire aux contextes conflictuels

La compréhension de ces risques exacerbés par les conflits est donc cruciale pour l'action anticipatoire. Cette recherche a pour but d'étoffer la base de données sur les impacts de la double vulnérabilité sur les populations touchées par les conflits armés(Peters, et al., 2019) en procédant à un examen historique complet des impacts des catastrophes dans les contextes touchés par les conflits. Cette étude se concentre sur les régions de la Palestine et du Darfour ainsi que sur les trois zones de protocole du Soudan. Il s'appuie sur le programme de recherche du CICR et du Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge "Climat et conflit 2020", et en particulier sur des questions de recherche clés concernant l'action anticipatoire dans les situations de conflit(FICR, 2020).

Il cherche à établir une base de données sur les impacts des catastrophes causées par des risques hydrométéorologiques en Palestine et au Soudan depuis 2010, en comprenant 1) qui a été touché, 2) comment il a été touché, et 3) de quelle manière le contexte du conflit est lié à l'impact de la catastrophe. Cette analyse d'impact est réalisée en rassemblant de la "littérature grise" (évaluations des besoins, rapports de situation, mises à jour opérationnelles des organisations humanitaires) complétée par des recherches universitaires.

Il est essentiel de dresser un tableau des impacts historiques des catastrophes pour déterminer quelles interventions d'action anticipatoire peuvent réduire les impacts des catastrophes futures. Les résultats seront utilisés pour présenter un scénario des types de profils de catastrophes - et de leurs impacts - que ces études de cas sont susceptibles de connaître à l'avenir. Pour ce faire, un examen des actions potentielles démontrera comment et pourquoi certaines activités pourraient être pertinentes. Des entretiens avec des praticiens possédant une expérience académique, sectorielle ou contextuelle permettront d'obtenir des informations sur le terrain. Ensemble, les défis de l'Action Anticipatoire dans les contextes affectés par les conflits seront explorés, ainsi que les opportunités de fournir une analyse pratique visant à améliorer la RRC dans les états affectés par les conflits et l'instabilité.

Cette recherche alimentera un travail plus large visant à réduire les risques de catastrophes en utilisant l'action anticipatoire dans les zones touchées par un conflit. En Palestine, cela pourrait signifier que les vagues de froid et les fortes précipitations qui ont frappé six des dix dernières années n'entraînent pas systématiquement des déplacements massifs, la destruction d'abris, des blessures et des décès. Avec un préavis de trois jours en cas de températures extrêmement basses, le Croissant-Rouge palestinien pourrait distribuer à ceux qui vivent dans des tentes ou des abris non protégés des articles pour l'hiver, comme des couvertures et des chauffages sûrs, ainsi que des campagnes d'information et d'éducation sur la manière de chauffer les habitations en toute sécurité. Cela permettrait d'éviter de nouvelles pertes en vies humaines. Compte tenu de la récente flambée de violence - qui a endommagé 17 000 abris supplémentaires (dont 2 000 de manière extensive)(OCHA, 2021) - la réduction des risques de catastrophe reste un impératif.

This image shows the Palestinian Red Crescent Society distributing NFIs
Palestinian Red Crescent Soceity distributing NFIs to Beouins close to Ramallah, Photo by PRCS / IFRC, 2015

Cette étude est réalisée dans le cadre d'un mémoire de maîtrise pour le cours MSc Risk and Disaster Science à l'Institute for Risk and Disaster Reduction, University College London (supervisé par le Prof. Ilan Kelman). Elle est réalisée en collaboration avec le Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (supervisé par Catalina Jaime, responsable du climat et des conflits), en tant que contribution à leur travail sur l'élargissement de l'action anticipatoire dans les contextes touchés par les conflits. Pour plus d'informations, vous pouvez contacter Mark Weegmann, étudiant diplômé à l'UCL et chercheur junior au Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Ce travail est soutenu par la Croix-Rouge danoise avec des fonds du ministère des Affaires étrangères du Danemark.